Maître Delphine PICQUE
Propos injurieux sur les réseaux sociaux : les contours du pouvoir disciplinaire de l'Employeur

Le triptyque « vie personnelle, vie professionnelle et pouvoir disciplinaire de l’employeur » fait couler beaucoup d’encre.
Le salarié a droit au respect de sa vie privée et le pouvoir disciplinaire de l’employeur à son égard ne peut être absolu.
Un équilibre doit ainsi être trouvé entre la protection de la vie personnelle du salarié et l’intérêt de l’entreprise.
Cet équilibre repose sur la notion d’abus de la liberté d’expression.
Toutefois, caractériser les contours de cet abus n’est pas toujours aisé, ce d’autant plus depuis l’arrivée des réseaux sociaux dont l’instantanéité et la circulation des échanges a conduit les juges à repenser la protection de la vie personnelle du salarié.
La contestation des licenciements survenus à raison des propos tenus par les salariés sur les réseaux sociaux a amenés à s’interroger de nouveau sur le cadre de leur libre expression.
Bien naturellement, seuls les termes injurieux ou vexatoires sont susceptibles de caractériser un abus.
A la lecture des décisions rendues, il apparait que les propos tenus doivent avoir un caractère public pour caractériser un abus de pouvoir et ainsi être sanctionnés.
Ainsi, un salarié qui publie des critiques à l’égard de son entreprise sur son mur Facebook accessible à tous excède son droit à la liberté d’expression et peut être licencié.
Les propos offensant tenus sur des pages de discussion « ouvertes » peuvent donc constituer une faute disciplinaire.
Mais qu’en est-il lorsque le salarié s’exprime sur une page dont l’accès est restreint du fait de l’activation de paramètres de confidentialité ?
Il semblerait que les tribunaux s’attachent au nombre de personnes ayant accès aux contenus.
Le 12 septembre 2018, la Cour de cassation a considéré qu’une discussion dans un groupe fermé accessible à des personnes peu nombreuses avait une nature privée.
En l’espèce, une salariée avait été licenciée pour faute grave pour avoir tenu des propos injurieux et humiliant à l’encontre de son employeur au sein d’un groupe fermé accessible à quatorze personnes, dénommé « extermination des directrices chieuses ».
Pour caractériser l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, la Haute juridiction a retenu que les propos litigieux, accessible à quatorze personnes, s’apparentaient ainsi, à une discussion privée insusceptible de sanction.
Cela laisse à penser qu’il n’est pas certain qu’un salarié puisse se prévaloir de la protection de sa vie personnelle si le groupe de discussion au sein duquel il a tenu des propos injurieux, bien que fermé, est accessible à un grand nombre de salariés d’une entreprise.
D’ailleurs, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a retenu qu’un groupe accessible à « 179 amis » ne pouvait être assimilé à une sphère d’échange privée.
Il convient dès lors d’être particulièrement vigilant, une conversation privée pouvant rapidement devenir publique par son ampleur.
Depuis plusieurs années, la Cnil appelle à la vigilance des utilisateurs vis-à-vis des contenus qu’ils diffusent sur leurs pages et des personnes qui peuvent y accéder.
En 2011, elle a édité une fiche pratique sur son site « Maîtriser les informations publiées sur les réseaux sociaux ».
Cette vigilance est d’autant plus indispensable que l’employeur peut également décider d’agir sur le terrain pénal en injures publiques.